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Conférence d’Anne Lebourges-Dhaussy – L’acoustique pour explorer les interactions physique/biologie

25 avril 2022, N/O Marion Dufresne, Canal du Mozambique

Auteurs: Jonas Frère, Guerric Barrière, Sara Sergi


Anne Lebourges-Dhaussy est ingénieure de recherche au LEMAR (laboratoire des sciences de l’environnement marin) et évolue au sein de l’équipe de la plateforme acoustique pour l’étude des écosystèmes marins. Elle y est responsable des campagnes et de l’échantillonnage en mer. Cette équipe gère le parc instrumental d’acoustique active du LEMAR et développe des outils de traitement et d’analyse des données acoustiques pour des projets ayant des besoins spéciaux dans les océans et les lacs. Ses projets peuvent porter sur des études compositionnelles des communautés marines, sur la distribution des organismes dans la colonne d’eau et des relations proies/prédateurs et de leurs liens avec les paramètres environnementaux. L’acoustique peut également aider à la détermination des espaces à protéger en priorité dans le cadre de la création d’aires marines protégées. Pendant son seminaire à bord du Marion Dufresne, Anne nous a presenté l’utilisation des techniques acoustiques, depuis leurs premiers emplois historiques aux applications en biologie marine, ainsi que les différents instruments acoustiques utilisés à ce fin pendant la campagne RESILIENCE.

Historique

L’acoustique était utilisés par les organismes marins bien avant que l’être humain ne s’en saisisse. Les cachalots et les orques utilisent des systèmes de sonars pour se repérer dans l’océan. Il faut remonter dans l’histoire de l’humanité pour trouver les premières traces d’une étude de la propagation du son dans l’eau. En 1490, Léonard de Vinci observe qu’il est possible d’entendre des navires se trouvant à une grande distance lorsqu’on mettait l’oreille à l’extrémité d’un tube plongé dans l’eau. 300 ans plus tard, en 1827, apparaissent les premiers instruments de mesures de la vitesse de la propagation du son sous l’eau.

L’histoire se poursuit au XXème siècle où deux évènements majeurs, le naufrage du Titanic et la destruction du Lusitania, marquent une nette accélération du développement de l’acoustique avec d’un côté l’acoustique active qui vise à connaître la profondeur d’eau sous la coque et de l’autre l’acoustique passive pour détecter la présence de sous-marins. Ces avancées ont été permises notamment par la découverte des propriétés piézoélectriques de certains matériaux capables de transformer un signal électrique en une déformation mécanique permettant de capter et de quantifier des signaux sonores. Dès 1923, le premier sonar, appelé le Fathomètre, entre sur le marché en Angleterre et aux USA permettant d’envoyer des ondes sonores vers le fond et d’en réceptionner les échos. L’étude de l’émission/réception d’ondes sonores a par la suite été déclinée dans beaucoup de domaines car elle permet de ‘voir’ dans des endroits difficilement accessibles. Avec des faibles fréquences, (1-1000 Hz) il est possible d’étudier la géologie des sols et de détecter la présence de nappes de pétrole. Les hautes fréquences (10-500 kHz) sont plutôt utilisées en océanographie et en halieutique et les très hautes fréquences (quelques MHz) en médecine.

Fonctionnement d’un sonar

Les ondes sonores ont besoin d’un support (eau, air, métal, …) pour se déplacer et leur vitesse est proportionnelle à la densité de ce support. Par exemple, la vitesse des ondes sonores dans l’air est de 330 m/s, de 1500 m/s dans l’eau et entre 4000 et 5000 m/s environ dans un solide. La vitesse du son dans l’eau étant connue, les ondes sonores sont envoyées depuis la surface et reviennent vers l’émetteur lorsqu’elles rencontrent un obstacle. Il est ensuite possible de déterminer à quelle distance de la source se trouve un objet. L’énergie produite par l’émetteur est maximale dans l’axe vertical mais des ondes de plus faible énergie se propagent également sur les côtés. Cela additionné au fait que l’énergie des ondes sonores décroît au fur et à mesure de leur descente vers le fond au rythme des obstacles rencontrés rend nécessaire l’apport de correction au signal reçu.

Bio-acoustique

Dans la colonne d’eau, tout élément qui n’a pas la même densité que l’eau va représenter un obstacle. Les obstacles renvoient donc des signaux d’intensité différente en fonction de leur densité. Les signaux enregistrés lors de la rencontre d’une bulle d’air, d’un poisson, ou du substrat ne vont pas être les mêmes et vont dépendre de la densité et de la forme de cet obstacle. Il faut donc bien choisir les fréquences adaptées à l’étude que l’on veut mener. Prenons comme exemple deux composantes de l’écosystème pélagique, les myctophides et les copépodes. Les myctophides sont des petits poissons qui évoluent entre zone épipélagique la nuit et mésopélagique de jour ; certains possèdent une vessie natatoire, organe composé d’une petite poche d’air leur permettant de s’équilibrer à la perfection dans l’eau. Cette dernière est responsable de 90 % du signal renvoyé vers la surface et les os, les arêtes et la chair viennent compléter les 10 derniers pourcent. Les copépodes, qui sont des petits crustacés, sont des organismes catégorisés comme “fluid like” car ils ont une densité très proche de celle de l’eau de mer et renvoient très peu de signal malgré leur grand nombre. C’est généralement le cas pour tous les crustacés. Les différents organismes répondent donc différemment à différentes longueurs d’ondes en fonction de leur taille et de leur composition, ce qui permet de les classer dans de grandes catégories en fonction de la fréquence et de l’intensité du signal sonore utilisée (voir figure ci-dessous). Plus un organisme est gros, plus les courbes seront décalées vers les basses fréquences, et vice-versa.

Réponses en fréquence caractéristiques des différents types d’organismes marins. Benoit-Bird and Lawson (2016)
L’acoustique active permet d’obtenir des informations continues sur les écosystèmes sur des larges échelles spatio-temporelles. Trenkel et al. (2011)

En biologie marine, l’acoustique permet d’avoir une vue exhaustive de l’écosystème grâce à la visualisation des signaux réfléchis par les organismes présents à différentes profondeurs. Ces méthodes d’études sont non-invasives et non-destructives en comparaison au chalutage, et permettent d’avoir une information en continu de la distribution des organismes et cela jusqu’à une profondeur de 1000 mètres. Cependant, l’identification précise des organismes présents est encore très difficile et ne permet que de faire des estimations peu précises de la biomasse dans certaines parties du globe. Historiquement, la bio-acoustique a d’abord servi dans les années 1990 à l’estimation des stocks de poissons, puis son utilisation s’est étendue à l’étude du plancton. Actuellement, les avancées techniques permettent d’aborder d’autres approches comme l’observation spécifique des petits poissons pélagiques (anchois et sardines) et peuvent être déclinées pour de nombreuses études comme celles des interactions trophiques, du comportement de banc des poissons grégaires ou encore pour l’étude des prédateurs supérieurs et des interactions bio-physiques.

Les instruments utilisés à bord

Trois instruments d’acoustique active sont utilisés pendant la mission RESILIENCE pour étudier les organismes mésopélagiques présents dans la colonne d’eau.

Le sondeur de coque EK80. Cet appareil effectue des mesures en continu depuis la coque du bateau. Il est composé de plusieurs transducteurs (ce qui envoie les ondes) installés sous la coque. C’est un sondeur multifréquence (utilisant 5 différentes fréquences, 18, 38, 70, 120 et 200 kHz). L’usage de plusieurs fréquences en simultané permet, entre autres, de discriminer les divers groupes d’organismes. De plus, plus la fréquence utilisée est élevée, moins la distance d’acquisition est grande.

AZFP (c) A. Lebourges

Le profileur multifréquence de méso-zooplancton (AZFP de l’anglais). Il est installé sur la rosette lors des stations jusqu’à 500m. Il est composé de 4 transducteurs de hautes à très hautes fréquences (200, 455, 769, et 2000 kHz) qui émettent horizontalement lors du profil vertical. Il permet d’identifier plus précisément la composition en taille du méso-zooplancton dans la colonne d’eau jusqu’à environ 500 mètres de profondeur. L’objectif final est de reconstruire la population zooplanctonique qui compose le profil par les classes de taille (biovolume par taille de classe en fonction de la profondeur). Pour plus d’informations sur cet instrument vous pouvez regarder son CV qui a été publié sur ce site.

Le sondeur autonome WBAT (38, 120 kHz). Ce sondeur utilise une gamme de fréquence en continu et non une seule fréquence (35-45 kHz et 105-145 kHz). On obtient grâce à cela la signature en fréquence de cibles individuelles. L’idée est d’utiliser le WBAT en parallèle au chalut afin de voir la correspondance entre les espèces échantillonnées et leur signature en fréquence.

Bibliographie

Benoit-Bird, K. J., & Lawson, G. L. (2016). Ecological insights from pelagic habitats acquired using active acoustic techniques. Annual review of marine science8, 463-490.

Colladon, J. D., and Sturm, F. K., (1827). The Compression of Liquids (in French). Annales de Chimie et de Physique, 36, Part IV. Speed of Sound in Liquids, 236-257.

Trenkel, V. M., Ressler, P. H., Jech, M., Giannoulaki, M., & Taylor, C. (2011). Underwater acoustics for ecosystem-based management: state of the science and proposals for ecosystem indicators. Marine Ecology Progress Series442, 285-301.


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